Les principes de la consolidation osseuse

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La consolidation osseuse représente le processus biologique par lequel l’os se reforme après une fracture ou une ostéotomie. Les délais de consolidation sont variables en fonction du type d'os et de la portion de l'os intéressés par une fracture ou une ostéotomie. La qualité tissulaire, la vascularisation, et l'innervation, jouent également un rôle dans la consolidation osseuse. L’objectif est d'expliquer que la longueur des suites opératoires dépend de délais biologiques dictant le démarrage et les différentes phases de rééducation et le retour aux activités quotidiennes et sportives.
Définition et concepts fondamentaux
La consolidation osseuse désigne l’ensemble des phénomènes physiologiques conduisant à la guérison d’une fracture, d’une lésion osseuse ou encore d'une ostéotomie. La consolidation osseuse peut se faire de façon spontanée si la fracture est stable initialement. Si la fracture est instable, déplacée, ou que les fragments fracturaires ne sont plus en contact, une intervention chirurgicale est généralement nécessaire pour remettre en place la fracture, ou réduire la fracture, et la stabiliser par une technique dite d'ostéosynthèse. Il existe plusieurs types d'ostéosynthèse :
- L'ostéosynthèse par fixation interne consiste à aborder chirurgicalement la fracture, la réduire à l'aide d'instruments appelés daviers, puis la stabiliser avec des vis, des plaques vissées ou encore des broches.
- L'ostéosynthèse percutanée utilise une réduction de la fracture par manoeuvres externes, sans abord chirurgical de la fracture, sous contrôle radiographique de la réduction à l'aide d'une scopie. La stabilisation de la fracture peut se faire par des vis, des broches, des clous centromédullaires, voire des plaques vissées introduites en percutané.
- L'ostéosynthèse par fixateur externe est généralement utilisée en cas de lésion tissulaires importantes empêchant tout abord chirurgical raisonnable, dans le cadre de fractures complexes avec de potentielles pertes de substance osseuse et cartilagineuse.
Dans le domaine de la chirurgie du pied et de la cheville, par exemple, la réalisation de différentes ostéotomies est nécessaire dans la prise en charge de déformation telles que l’hallux valgus ou l'hallux rigidus. Le pied plat, le pied creux et l'arthrose de cheville peuvent également faire d'une ostéotomie voire de plusieurs ostéotomies correctrices dans le même temps opératoire.
Les phases biologiques de la consolidation osseuse
Dès l’instant où une fracture se produit, une phase inflammatoire s’enclenche immédiatement. Cette réaction initiale se manifeste par la formation d’un hématome fracturaire, riche en facteur de consolidation osseuse. En parallèle, des médiateurs biologiques comme les cytokines sont libérés, déclenchant une inflammation qui attire des cellules spécialisées sur le site concerné. Leur mission : préparer l’environnement pour amorcer la réparation. Ce processus, qui s’étend sur plusieurs jours, pose les bases essentielles à la régénération du tissu osseux.
Phase proliférative
Lors de la phase proliférative, le processus de réparation osseuse s’intensifie. L’organisme génère un tissu conjonctif appelé « cal fibreux » à partir de l'hématome, principalement composé de collagène. Le cal fibreux apparaît à la troisième semaine, les mouvements dans le foyer de fracture sont alors moindre. On parle de fracture engluée à ce stade. Progressivement, ce cal se minéralise et devient un cal dur, formant une matrice osseuse solide. Cette transformation se déroule généralement entre le 20ᵉ et le 60ᵉ jour après la fracture. Pendant cette période, l’activité cellulaire est particulièrement intense, favorisant l’apport des cellules responsables de la production osseuse.
Phase de remodelage
Au fil du temps, l’os nouvellement formé subit un remodelage progressif afin de retrouver sa solidité et sa structure d’origine. Cette réorganisation interne lui permet de s’adapter aux contraintes mécaniques du quotidien, en ajustant son architecture en fonction des sollicitations exercées.
Ce processus, qui s’étend sur plusieurs mois, voire plusieurs années, est essentiel pour assurer une résistance optimale et un bon fonctionnement du squelette. L’os passe ainsi d’un état en reconstruction à une structure pleinement capable de supporter les charges mécaniques nécessaires aux mouvements et à la posture.
Une fois le modelage osseux terminé, l'os n'est pas plus fragile, mais pas plus robuste non plus. Sa résistance mécanique est restaurée.
Mécanismes biologiques et cellulaires de la consolidation osseuse
La réparation osseuse repose sur un enchaînement précis de processus biologiques impliquant une multitude de cellules et de signaux biochimiques. Lorsqu'un os est fracturé, l’organisme déclenche immédiatement une cascade de réponses cellulaires visant à restaurer l’intégrité du tissu osseux.
Les cellules souches, qui proviennent du périoste, de la moelle osseuse, ainsi que l'apport vasculairedes muscles environnants, jouent un rôle clé dans ce mécanisme. Elles possèdent la capacité de se transformer en ostéoblastes, qui sont responsables de la formation de l’os et de sa minéralisation. Cette différenciation cellulaire est activée par la présence de molécules de signalisation spécifiques.
Parmi ces molécules, les protéines morphogénétiques osseuses, appelées Bone Morphogenetic Proteins (BMP), occupent une place centrale. Elles favorisent la prolifération des cellules souches et guident leur maturation en cellules réparatrices. Ces protéines participent également à la structuration de la matrice osseuse, un réseau de fibres et de minéraux qui confère à l’os sa solidité et sa résistance.
Deux modes d’ossification permettent la reconstruction du tissu osseux. L’ossification endomembranaire repose sur la différenciation directe des cellules en ostéoblastes, qui déposent progressivement la matrice minérale. Ce processus est caractéristique de la consolidation de fractures sans déplacement important. En parallèle, l’ossification endochondrale débute par la formation d’un échafaudage cartilagineux qui est progressivement remplacé par de l’os. Ce mode de réparation est plus courant dans les fractures complexes, où un remodelage structurel plus important est nécessaire.
Globalement, lorsqu'une fracture est stable, la consolidation osseuse se fait de façon endostée, per primam, avec un cal osseux minime. Lorsqu'une fracture est instable, les mobilités dans le foyer de fracture forment un cal osseux important, volumineux, permettant la consolidation osseuse. Le remodelage osseux permettra de diminuer le volume du cal osseux mais sans le faire disparaitre totalement.
Tout au long de ce processus, une interaction étroite entre cellules et signaux biochimiques permet une réparation progressive et structurée du tissu osseux, rétablissant ainsi la morphologie osseuse, la solidité osseuse et la fonction de l’os concerné.
Facteurs influençant la consolidation osseuse
Différents paramètres peuvent moduler le processus de réparation osseuse et impacter la vitesse et la qualité de la consolidation. Ceux-ci se répartissent en plusieurs catégories :
- Facteurs mécaniques de stabilisation osseuse : Il existe plusieurs moyens de stabiliser une fracture, deux grandes stratégies de stabilisation osseuse existent. La stabilisation dynamique d'une fracture par un clou centromédullaire par exemple, nécessite un appui précoce pour obtenir la consolidation osseuse. La stabilisation statique d'une fracture par plaque vissée par exemple, nécessite d'abord une période d'immobilisation avant la remise en charge.
- Facteurs mécaniques de la fracture : Plus la fracture est complexe, avec des écarts inter fragmentaires importants, voire des pertes de substance osseuse, plus le temps de consolidation sera important.
- Qualité de l'enveloppe tissulaire : Un délabrement tissulaire, une fracture ouverte, des lésions vasculo nerveuses associées sont autant de facteurs retardant la consolidation osseuse.
- Facteurs biologiques et systémiques : Une bonne vascularisation du site de la fracture et un revêtement étanche et cicatrisé sont des facteurs nécessaires pour la consolidation osseuse.
- La nutrition et l’état métabolique : Ils influencent la capacité à former une matrice osseuse robuste (notamment l’apport en calcium et en vitamine D). La vitamine D permet de fixer le calcium et donc de favoriser la minéralisation osseuse.
- L’âge, le mode de vie et les antécédents médicaux : La consolidation osseuse se fait à tout âge. Certaines pathologies comme le diabète et les neuropathies sont des facteurs de retard de consolidation osseuse dont il faudra tenir compte en cas de traitement chirurgical notamment pour l'immobilisation postopératoire.
La bonne compréhension de ces éléments permet d’adapter les stratégies thérapeutiques en fonction des caractéristiques individuelles de chaque patient.
Applications cliniques et implications thérapeutiques
Connaître les mécanismes de la consolidation osseuse aide à la prise de décisions et à la stratégie thérapeutique en cas de traitement chirurgical ou non chirurgical. Cette compréhension permet aux praticiens d’orienter le traitement notamment lorsqu’il s’agit :
- De choisir entre une consolidation par montage rigide ou par montage dynamique (ostéosynthèse rigide par plaque vissée ou ostéosynthèse dynamique par enclouage centromédullaire par exemple).
- De déterminer le meilleur moment pour entamer une rééducation ciblée afin de récupérer la mobilité et la stabilité articulaire sans compromettre la consolidation osseuse.
- D’identifier les patients présentant des facteurs de risque de retard de consolidation osseuse ou d'absence de consolidation osseuse appelée pseudarthrose, et d’adapter leur suivi par des contrôles radiologiques et cliniques réguliers.
Dans le cadre de la chirurgie du pied et de la cheville, la compréhension de ce processus aide à réaliser des interventions moins invasives avec l'utilisation de techniques arthroscopiques ou percutanées.
Innovations et méthodes pour optimiser la consolidation osseuse
Les progrès technologiques et scientifiques ont permis l’émergence de nouveaux outils destinés à dynamiser le processus de réparation. Parmi ces innovations, on peut citer :
- Stimulation par ultrasons de faible intensité : Des dispositifs produisant des ondes mécaniques favorisent la formation du cal osseux et accélèrent la consolidation osseuse.
- Stimulation électromagnétique : L’application de champs électromagnétiques permet de favoriser la différenciation cellulaire et la minéralisation du tissu osseux, en particulier dans les fractures présentant un retard de consolidation osseuse.
- Thérapie génique ciblée : Bien qu’encore en phase expérimentale dans plusieurs centres, l’utilisation de vecteurs viraux pour introduire des gènes codant des facteurs de croissance spécifiques offre des perspectives prometteuses pour favoriser l’ossification.
- Rééducation personnalisée : L’ajustement des protocoles de remise en charge et des exercices de réadaptation, guidé par l’évolution de la réparation osseuse, permet d’optimiser la récupération fonctionnelle tout en prévenant les complications.
Absence de consolidation osseuse : les pseudarthroses
L'absence de consolidation osseuse d'un foyer de fracture, ou d'un site d'ostéotomie, correspond à une pseudarthrose. La plupart du temps, les pseudarthroses sont symptomatiques, et nécessitent un traitement chirurgical. Exceptionnellement, une pseudarthrose peut-être indolore, il s'agit lors d'une pseudarthrose dite providentielle.
Il existe deux types de pseudarthrose, la pseudarthrose hypertrophique et la pseudarthrose hypertrophique.
La pseudarthrose hypertrophique
La pseudarthrose hypertrophique se manifeste radiographiquement par une absence de consolidation osseuse avec des extrémités osseuses hypertrophiques, augmentées de volume, ayant la forme d'une patte d'éléphant.
Généralement, ces pseudarthrose sont dues à un montage insuffisamment rigide, ou à un défaut de compression dans le foyer de fracture en cas de montage chirurgical dynamique. Le traitement de ces pseudarthroses consiste à décortiquer les extrémités osseuses et le foyer de fracture tout en augmentant la rigidité du montage.
S'il s'agit d'un défaut de compression sur un montage dynamique comme un clou centromédullaire par exemple, le déverrouillage du clou à l'une des extrémités permet d'augmenter les contraintes en compression dans le foyer de fracture, et peut-être suffisant pour obtenir la consolidation osseuse.
La pseudarthrose hypotrophique
La pseudarthrose hypotrophique est de moins bon pronostique. A la radiographie les extrémités osseuses diminuent de volume autour du foyer fracturaire non consolidé. Ces pseudarthroses avec résorption osseuse des extrémités sont suspectes d'infection osseuse chronique.
La prise en charge de ces pseudarthroses nécessite fréquemment l'ablation du matériel, ayant permis la stabilisation de la fracture, et la réalisation de prélèvements bactériologiques dans un premier temps. Un traitement antibiotique sera donné de façon probabiliste, puis sera adapté secondairement aux germes présents dans les prélèvements osseux profonds. A la suite du traitement antibiotique, pouvant durer en général de un mois et demi à deux mois, il sera nécessaire de stabiliser de nouveau les extrémités osseuses, avec des techniques associant reconstructions osseuses par greffes, et nouvelle ostéosynthèse.
De manière générale, toute céda, arthrose et suspecte d'infection osseuse. Avant toute cure chirurgicale de pseudarthrose, il sera nécessaire d'avoir :
- un bilan radiologique standard.
- un scanner évaluant précisément la trame osseuse.
- un bilan biologique avec analyse des marqueurs inflammatoires comme la CRP et la VS.
- une scintigraphie osseuse permettant d'éliminer ou d'affirmer l'origine septique de la pseudarthrose.
Enfin, une pseudarthrose peut-être observée avec le maintien de l'axe et de la rotation du segment osseux. Cependant, certaines pseudarthroses entraînent des déviations angulaires, des raccourcissements, et des troubles de rotation. Il s'agit alors de pseudarthroses vicieuses.
Consolidation osseuse en mauvaise position : les cals vicieux
Dans le cadre des cals vicieux, la consolidation osseuse de la fracture est acquise, cependant il persiste une déformation du segment osseux dans le foyer de fracture initiale.
Généralement, le cal vicieux présente des déformations dans les trois plans de l'espace. Ces déformations peuvent être :
- Un allongement ou raccourcissement du membre.
- Des troubles rotatoires.
- Des déviations angulaires en flexion ou en extension.
- Des déviations angulaires en varisation ou en valgisation.
Certains cal vicieux sont tolérables, un nouvel équilibre musculaire sera trouvé, et le cal vicieux pourra être visible, mais ne sera pas symptomatique sur le plan fonctionnel.
D'autres cals vicieux ne seront pas tolérables par les patients, il conviendra alors de les analyser pour pouvoir proposer un traitement chirurgical correcteur. Le traitement chirurgical correcteur, consistera à analyser précisément les différentes composantes du cal vicieux, et à réaliser une ou plusieurs ostéotomies permettant de corriger la position vicieuse du segment osseux.
La stabilisation osseuse, ou ostéosynthèse des extrémité osseuses sera indispensable. L'analyse d'un cal vicieux nécessite :
- Des radiographies bilatérales et comparatives.
- Un EOS permettant de mesurer plus précisément les longueurs segmentaires osseuses, ainsi que les différentes rotations comparatives des membres analysés.
- Un scanner permettra de retrouver l'ancien trajet fracturaire.
Idéalement, la correction chirurgicale d'un cal vicieux se fait dans le cal osseux fracturaire initial, notamment s'il est retrouvé au scanner.
La consolidation osseuse d'un point de vue pratique
La réparation osseuse repose sur une série d’événements biologiques et mécaniques qui se mettent en place de manière séquentielle. Ce processus, aussi bien observé dans la consolidation spontanée que lorsqu’il est assisté par des interventions médicales ou chirurgicales, guide les choix thérapeutiques en chirurgie orthopédique. Des techniques modernes de fixation et des approches innovantes – incluant la stimulation par ultrasons et les avancées en rééducation – permettent d’améliorer les résultats pour chaque patient.
Il est important pour les patients de comprendre que les suites opératoires dépendent des délais biologique de cicatrisation des différents tissus. Ce n'est pas parce que il n'y a pas de douleur postopératoire, qu'il faut modifier les différents délais postopératoires de reprise des activités.
Contrairement aux idées reçues, les sportifs de haut niveau ne consolident pas plus vite qu'un patient plus sédentaire. Les délais de cicatrisation biologiques sont les mêmes. Cependant un sportif de niveau connaît beaucoup mieux son corps, car c'est son outil de travail. La récupération sera donc plus rapide.